Des plumes dans le ventre
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jennyfer
Stebannie Dupont
Isabelle Andreeff
7 participants
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Des plumes dans le ventre
Hello !
Voici le premier texte écrit en 2019 au moment de mon "coming out" sur un autre site (que j'ai quitté depuis pour des raisons personnelles). Comme tous les autres textes, il est fait d'un mélange de témoignages, de souvenirs et de "facéties" littéraires. Remonté dans ma mémoire à cette occasion, il a été déclenché par le souvenir de la lecture d'un article de Libération, à l'époque où ce journal pas comme les autres ouvrait ses pages à des récits touchant au quotidien, à la vie des "gens". Le ton de ce texte vous surprendra peut-être par rapport aux autres. Il n'est pas vraiment drôle. Mais il correspond pour moi à l'ouverture d'une nouvelle grande période de ma vie. JE l'ai beaucoup travaillé, même si cela ne se voit pas (l'art cache l'art!). Bonne lecture!
Bises, Isa.Des plumes dans le ventre.
Elle s’appelait Patricia. C’était son nom.
Je me souviens de ce fragment de récit publié dans les pages d’un quotidien à l’époque encore atypique. L’article, très court, rapportait un fait divers tragique, étayé de quelques bouts de vie sans doute glanés dans le voisinage.
Patricia logeait à Paris, un simple studio meublé, avec une minuscule cuisine et une pièce d’eau. Elle avait emménagé là depuis à peine quelques mois, huit ou neuf. Elle était plutôt jolie, un peu plus grande que la moyenne des femmes. Très jeune, moins de trente ans. Elle avait sympathisé avec les habitants du quartier, surtout les femmes qui fréquentaient le petit parc en bas de son immeuble. Elle s’y rendait tous les jours. Toujours très bien mise, en jupe ou en robe. Elle s’asseyait sur un banc et bavardait volontiers avec les autres femmes qui amenaient là leurs enfants en bas âge. Elle ne travaillait pas. L’article citait abondamment le témoignage d’une femme qui avait sympathisé avec Patricia plus que les autres.
Aux beaux jours, Patricia s’était mise à porter uniquement des robes fleuries, de plus en plus larges. Son ventre s’arrondissait. Elle avait confié être enceinte. Elle tricotait tous les jours une layette rose, lentement, avec application, tout en bavardant avec ses amies, assise sur son banc, la robe soigneusement répandue autour d’elle, son sac à main posé à côté d’elle. Elle disait avoir hérité de sa mère et s’être décidée à quitter la province pour venir s’installer à Paris. Elle attendait la naissance du bébé, une fille, comme elle l’avait souhaité, pour chercher un emploi. Elle aurait aimé être vendeuse aux Galeries Lafayette. Un jour, elle montra le couffin qu’elle venait d’acheter. Elle demandait des conseils sur les poussettes, sur l’allaitement, sur toutes ces choses si essentielles à la vie, tout bonnement, si peu ou si mal considérées. Il y avait beaucoup de douceur dans sa voix. Elle souriait toujours, radieuse dans ses robes fleuries. Elle passait parfois une main délicate sur la rondeur de plus en plus prometteuse de son ventre. Elle n’invitait jamais personne chez elle. Son univers semblait constitué uniquement de ce petit parc arboré où brillait une pièce d’eau et de son monde intérieur, son petit parc intérieur à elle qui abritait une vie naissante, sous les fleurs du tissu.
Et puis ce petit matin de la fin du mois d’août, la détonation avait été énorme. Un nuage d’oiseaux paniqués s’était enfui du parc. C’est une voisine qui avait prévenu les pompiers, le samu, la police. Sous le ciel d’une aube naissante, une assourdissante gerbe de lumières rayait les façades. On avait enfoncé la porte.
Patricia gisait au milieu de la pièce. Sa robe déchiquetée s’ouvrait sur un cratère béant rempli de plumes de duvet ensanglantées. Il y en avait partout. La main droite était agrippée à un pistolet de gros calibre. On ne retrouva aucun papier d’identité. Il n’y eut pas d’obsèques.
Dans ces années-là, les jeunes femmes comme Patricia ne bénéficiaient pas d’attention, de respect, ou si peu ; encore moins de bienveillance. Les choses ont quand même un peu évolué depuis plus de trente ans que s’est joué ce drame. C’est une tragédie, absolue, sordide dans sa conclusion, mais, comme toute tragédie authentique, pleine également d’une profonde, sourde et irréelle lumière. Il n’y a pas de morale à chercher, à tenter de formuler. Mais à cette époque de ma vie où la femme que je savais être bredouillait à peine, cette histoire m’avait bouleversée. Je me souviens d’avoir consumé de longues heures à imaginer ces huit ou neuf mois de la vie de Patricia, et aussi de sa vie d’avant, quand elle n’était pas encore Patricia, qu’elle rêvait de porter des robes et de vivre en femme dans le jardin du monde. Un roman, mieux, un film. Elle avait fini par tisser toute sa matière vive autour d’un désir de maternité qu’elle voulait partager avec d’autres, peut-être pour le croire vraiment possible. C’est aussi ce que nous faisons ou disons avec et pour d’autres qui nous fait exister vraiment comme ce que nous sommes. Elle se vivait et se racontait future maman avec et parmi les jeunes femmes du parc.
Mais ce n’est peut-être pas le mensonge qui l’a tuée. Après tout, elle pouvait continuer à tisser son histoire sur d’autre trames. Plutôt la vérité qu’en un éclair dévastateur elle n’a pas pu supporter : elle n’a pas supporté de ne pas pouvoir réellement donner la vie, alors elle s’est donné la mort. Je n’ai tiré aucune force particulière de cette histoire, sinon celle de savoir que ne pas s’accepter comme on est laisse certainement un goût amer dans le dernier souffle.
Et surtout, que la mort, ce n’est pas une vie !
Isabelle
août 2018 - 2021.
Voici le premier texte écrit en 2019 au moment de mon "coming out" sur un autre site (que j'ai quitté depuis pour des raisons personnelles). Comme tous les autres textes, il est fait d'un mélange de témoignages, de souvenirs et de "facéties" littéraires. Remonté dans ma mémoire à cette occasion, il a été déclenché par le souvenir de la lecture d'un article de Libération, à l'époque où ce journal pas comme les autres ouvrait ses pages à des récits touchant au quotidien, à la vie des "gens". Le ton de ce texte vous surprendra peut-être par rapport aux autres. Il n'est pas vraiment drôle. Mais il correspond pour moi à l'ouverture d'une nouvelle grande période de ma vie. JE l'ai beaucoup travaillé, même si cela ne se voit pas (l'art cache l'art!). Bonne lecture!
Bises, Isa.Des plumes dans le ventre.
Elle s’appelait Patricia. C’était son nom.
Je me souviens de ce fragment de récit publié dans les pages d’un quotidien à l’époque encore atypique. L’article, très court, rapportait un fait divers tragique, étayé de quelques bouts de vie sans doute glanés dans le voisinage.
Patricia logeait à Paris, un simple studio meublé, avec une minuscule cuisine et une pièce d’eau. Elle avait emménagé là depuis à peine quelques mois, huit ou neuf. Elle était plutôt jolie, un peu plus grande que la moyenne des femmes. Très jeune, moins de trente ans. Elle avait sympathisé avec les habitants du quartier, surtout les femmes qui fréquentaient le petit parc en bas de son immeuble. Elle s’y rendait tous les jours. Toujours très bien mise, en jupe ou en robe. Elle s’asseyait sur un banc et bavardait volontiers avec les autres femmes qui amenaient là leurs enfants en bas âge. Elle ne travaillait pas. L’article citait abondamment le témoignage d’une femme qui avait sympathisé avec Patricia plus que les autres.
Aux beaux jours, Patricia s’était mise à porter uniquement des robes fleuries, de plus en plus larges. Son ventre s’arrondissait. Elle avait confié être enceinte. Elle tricotait tous les jours une layette rose, lentement, avec application, tout en bavardant avec ses amies, assise sur son banc, la robe soigneusement répandue autour d’elle, son sac à main posé à côté d’elle. Elle disait avoir hérité de sa mère et s’être décidée à quitter la province pour venir s’installer à Paris. Elle attendait la naissance du bébé, une fille, comme elle l’avait souhaité, pour chercher un emploi. Elle aurait aimé être vendeuse aux Galeries Lafayette. Un jour, elle montra le couffin qu’elle venait d’acheter. Elle demandait des conseils sur les poussettes, sur l’allaitement, sur toutes ces choses si essentielles à la vie, tout bonnement, si peu ou si mal considérées. Il y avait beaucoup de douceur dans sa voix. Elle souriait toujours, radieuse dans ses robes fleuries. Elle passait parfois une main délicate sur la rondeur de plus en plus prometteuse de son ventre. Elle n’invitait jamais personne chez elle. Son univers semblait constitué uniquement de ce petit parc arboré où brillait une pièce d’eau et de son monde intérieur, son petit parc intérieur à elle qui abritait une vie naissante, sous les fleurs du tissu.
Et puis ce petit matin de la fin du mois d’août, la détonation avait été énorme. Un nuage d’oiseaux paniqués s’était enfui du parc. C’est une voisine qui avait prévenu les pompiers, le samu, la police. Sous le ciel d’une aube naissante, une assourdissante gerbe de lumières rayait les façades. On avait enfoncé la porte.
Patricia gisait au milieu de la pièce. Sa robe déchiquetée s’ouvrait sur un cratère béant rempli de plumes de duvet ensanglantées. Il y en avait partout. La main droite était agrippée à un pistolet de gros calibre. On ne retrouva aucun papier d’identité. Il n’y eut pas d’obsèques.
Dans ces années-là, les jeunes femmes comme Patricia ne bénéficiaient pas d’attention, de respect, ou si peu ; encore moins de bienveillance. Les choses ont quand même un peu évolué depuis plus de trente ans que s’est joué ce drame. C’est une tragédie, absolue, sordide dans sa conclusion, mais, comme toute tragédie authentique, pleine également d’une profonde, sourde et irréelle lumière. Il n’y a pas de morale à chercher, à tenter de formuler. Mais à cette époque de ma vie où la femme que je savais être bredouillait à peine, cette histoire m’avait bouleversée. Je me souviens d’avoir consumé de longues heures à imaginer ces huit ou neuf mois de la vie de Patricia, et aussi de sa vie d’avant, quand elle n’était pas encore Patricia, qu’elle rêvait de porter des robes et de vivre en femme dans le jardin du monde. Un roman, mieux, un film. Elle avait fini par tisser toute sa matière vive autour d’un désir de maternité qu’elle voulait partager avec d’autres, peut-être pour le croire vraiment possible. C’est aussi ce que nous faisons ou disons avec et pour d’autres qui nous fait exister vraiment comme ce que nous sommes. Elle se vivait et se racontait future maman avec et parmi les jeunes femmes du parc.
Mais ce n’est peut-être pas le mensonge qui l’a tuée. Après tout, elle pouvait continuer à tisser son histoire sur d’autre trames. Plutôt la vérité qu’en un éclair dévastateur elle n’a pas pu supporter : elle n’a pas supporté de ne pas pouvoir réellement donner la vie, alors elle s’est donné la mort. Je n’ai tiré aucune force particulière de cette histoire, sinon celle de savoir que ne pas s’accepter comme on est laisse certainement un goût amer dans le dernier souffle.
Et surtout, que la mort, ce n’est pas une vie !
Isabelle
août 2018 - 2021.
Isabelle Andreeff- Messages : 307
Date d'inscription : 27/09/2021
Age : 70
Localisation : Mulhouse 68
Béatrice, Helyette, galwenne, Annabelle46 et jennyfer aiment ce message
Re: Des plumes dans le ventre
Une histoire tout autant "détonante" que "détonnante" en cette période qui se voudrait festive autour de la nativité . . mais qui rappelle aussi que beaucoup d'entre nous vont devoir montrer le contraire de ce qu'elles auraient aimé . . et aussi avec la mort dans l'âme . . .
Bien dommage que Patricia n'ait pas connu Agora, on aurait pu lui expliquer . . . au moins essayer . . . de plus c'est un sujet qui a déjà été abordé ici . . .
Je crois que Isabelle nous explique simplement qu'on a une sacrée chance . . . . la vie c'est aussi ne pas rester seule . . .
Et dans un style qui "décape", comme je les adore, bravo à notre Artiste . . .
Bien dommage que Patricia n'ait pas connu Agora, on aurait pu lui expliquer . . . au moins essayer . . . de plus c'est un sujet qui a déjà été abordé ici . . .
Je crois que Isabelle nous explique simplement qu'on a une sacrée chance . . . . la vie c'est aussi ne pas rester seule . . .
Et dans un style qui "décape", comme je les adore, bravo à notre Artiste . . .
Stebannie Dupont- Messages : 3473
Date d'inscription : 14/09/2018
Re: Des plumes dans le ventre
Isabelle cette histoire est bouleversante.
Tu me l'avait déja fait lire et je ne t'avais pas fait de retour...
En fait je ne trouve pas mes mots pour décrire l'émotion que sa lecture procure et aujourd'hui c'est encore le cas.
C'est là la puissance de l'écriture: véhiculer des images, des sensations, des émotions fortes!
Merci
(PS: jolie dame dans cette miniature)
Tu me l'avait déja fait lire et je ne t'avais pas fait de retour...
En fait je ne trouve pas mes mots pour décrire l'émotion que sa lecture procure et aujourd'hui c'est encore le cas.
C'est là la puissance de l'écriture: véhiculer des images, des sensations, des émotions fortes!
Merci
(PS: jolie dame dans cette miniature)
Re: Des plumes dans le ventre
Décidément, tu as le génie des conclusions Isa ! J'adhère
Helyette- Messages : 3510
Date d'inscription : 25/10/2010
Age : 79
Localisation : Lorraine
Re: Des plumes dans le ventre
Ce texte m'interroge , la violence finale laisse un gout amer , le passage vers un autre monde me semble douloureux, mais vivre une existence de souffrance psychique (et physique ...) , nous rapetisse jusqu'à l' anéantissement moral . S'offrir un "voyage" pour un autre état , inconnu (du moins pour moi ...) , est l’étape finale de notre parcours terrestre , peut être pas celui de notre spiritualité ...
Lou- Messages : 4220
Date d'inscription : 22/11/2019
Age : 65
Localisation : Chalon sur Saone
Re: Des plumes dans le ventre
Quel beau récit, si bien écrit, cette histoire que nous comprenons d'autant mieux jusqu'au drame.
Comme le dit Stéphanie, les communautés sur internet, comme Agora permettent de parler, de ne pas se sentir seule, surtout en lisant les histoires, les commentaires des autres femmes qui partagent leurs vécus!
J'imagine mal la douleur intérieur que Patricia à dû vivre et la voie cauchemardesque qu'elle a prise, car la fin semblait écrite dès le départ.
Merci Isabelle!
Comme le dit Stéphanie, les communautés sur internet, comme Agora permettent de parler, de ne pas se sentir seule, surtout en lisant les histoires, les commentaires des autres femmes qui partagent leurs vécus!
J'imagine mal la douleur intérieur que Patricia à dû vivre et la voie cauchemardesque qu'elle a prise, car la fin semblait écrite dès le départ.
Merci Isabelle!
Re: Des plumes dans le ventre
J'ai lu deux fois le texte et je n'ai pas compris :-(
Est-ce un récit imaginé ? Est-ce le souvenir d'un témoignage édité dans un journal ? Est-ce une histoire vraie ?
Une remarque : il manque l'interrogation sur le père de l'enfant. L'héroïne vit seule mais se retrouve enceinte. Il y a de fortes chances pour que cela fasse jaser le voisinage...
Sur notre incapacité à enfanter, j'ai écrit un texte sur le forum. Si cela vous intéresse de le lire en complément de ce récit, voici le lien :
désir d'enfant
Bises
Est-ce un récit imaginé ? Est-ce le souvenir d'un témoignage édité dans un journal ? Est-ce une histoire vraie ?
Une remarque : il manque l'interrogation sur le père de l'enfant. L'héroïne vit seule mais se retrouve enceinte. Il y a de fortes chances pour que cela fasse jaser le voisinage...
Sur notre incapacité à enfanter, j'ai écrit un texte sur le forum. Si cela vous intéresse de le lire en complément de ce récit, voici le lien :
désir d'enfant
Bises
Daniela- Messages : 1943
Date d'inscription : 21/10/2014
Localisation : RP
Re: Des plumes dans le ventre
Bonjour Daniela.
Au départ, il y a un article de Libération, très très ancien (début des années 80, je crois). Cet article racontait l'histoire de cette Patricia (à l'époque, Libé publiait ce genre d'articles, entre le récit et le témoignage, des tranches de la vie réelle, en somme.
Cet article m'est revenu en mémoire au moment d'écrire un texte pour un site (en 2019). J'en ai fait ce texte, sorte de récit d'un souvenir travaillé comme un texte littéraire (c'était déjà le cas à vrai dire de l'article de Libé!). Tous les textes que je publie sur Agora sont conçus sur ce modéle.
Voilà. Bien sûr, il s'agissait du récit d'un désir d'enfant impossible.
Bises, Isabelle
Au départ, il y a un article de Libération, très très ancien (début des années 80, je crois). Cet article racontait l'histoire de cette Patricia (à l'époque, Libé publiait ce genre d'articles, entre le récit et le témoignage, des tranches de la vie réelle, en somme.
Cet article m'est revenu en mémoire au moment d'écrire un texte pour un site (en 2019). J'en ai fait ce texte, sorte de récit d'un souvenir travaillé comme un texte littéraire (c'était déjà le cas à vrai dire de l'article de Libé!). Tous les textes que je publie sur Agora sont conçus sur ce modéle.
Voilà. Bien sûr, il s'agissait du récit d'un désir d'enfant impossible.
Bises, Isabelle
Isabelle Andreeff- Messages : 307
Date d'inscription : 27/09/2021
Age : 70
Localisation : Mulhouse 68
Daniela et jennyfer aiment ce message
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