Sur le narcissisme

Il y a quand même une interprétation philosophique du mythe. Gérard Genette écrit dans Figures I : "Narcisse se projette et s'aliène dans un reflet qui lui révèle son illusoire et fugace existence : toute sa vérité dans un fantôme, une ombre, un rêve"

La surface de l'eau qui sert de miroir se trouble à la moindre perturbation ; ainsi quand Narcisse verse des larmes sur lui-même. Cette image totalement instable n'a d'existence que dans l'instant, n'est qu'un rêve passager, et s'imaginer qu'elle re-présente son être, voilà l'erreur de Narcisse. Faire une" fixation" sur son image est le péché du narcissique, qui veut "fixer" ce qu'il pense être son être unique au monde et fait davantage confiance à son miroir qu'au regard d'autrui ; nous savons tous depuis Perrault qu'on ne saurait toujours se fier à un miroir ....

Michelle-Anne a raison, c'est important de partager les sources au delà des avis.

Quand je relis la PJ qui a inspiré une grande partie de mes avis précédents, je reste asssez rêveuse . . . finalement ce n'est peut être pas une bonne idée de vouloir trop entrer dans le détail, lol

https://www.santemagazine.fr/actualites/etes-vous-narcissique-ou-juste-confiant-189395

Je trouve que cet article va bien au delà des idées plus ou moins reçues et plus ou mois conventionnelles échangées par ailleurs, peut être un peu iconoclaste . . . enfin au moins en le lisant on s'interroge . . . et on en arrive évidemment à la question soulevée par Morgane . . .

Avalon a écrit:
Reste à trouver un équilibre entre ce que nous sommes et ce qu'il faut paraître pour avoir un retour positif.

C'est une équation impossible si on est "sérieusement atteint" car en ce cas  nos convictions nous amènent à la surdité, comment en ce cas tenir compte des retours des autres ?

Et j'en arrive aussi à une autre question, si je diffuse des photos qui (je le sais pertinemment) restent d'une féminité assez modeste, comment vais-je percevoir les retours de celles qui vont se sentir obligées de me complimenter par simple gentillesse ?

chantal92 a écrit:Il y a quand même une interprétation philosophique du mythe. .../... nous savons tous depuis Perrault qu'on ne saurait toujours se fier à un miroir ....

Ah oui, important d'avoir conscience de ça je trouve..

Stephanie Dupont a écrit:Et j'en arrive aussi à une autre question, si je diffuse des photos qui (je le sais pertinemment) restent d'une féminité assez modeste, comment vais-je percevoir les retours de celles qui vont se sentir obligées de me complimenter par simple gentillesse ?

La grande illusion...
Comme vous, cela fait longtemps que je m'interroge sur cet aspect du monde virtuel et ce qu'il est susceptible d'apporter en bien ou en mal.
La photo comme moyen de parler de soi est déjà une tromperie, car elle n'est jamais un reflet fidèle de ce que nous sommes. Même sans chercher à améliorer la réalité, ça peut être très éloigné. Ajoutez les programmes de corrections automatiques des *phones actuels. Et la gentillesse des personnes qui laissent des commentaires. L'écart peut être sensible. On pourrait d'ailleurs adresser ça à toute personne qui se montre sur les réseaux sociaux... Là ou ça pose problème, c'est quand cette démarche est destinée à permettre à une personne de se montrer et quelque part de se mettre à l'épreuve sa crédibilité. La prudence s'impose..
Comme tu l'écris Stéphanie, quand on est convaincue de ça, la démarche peut poser un problème. Car on n'y croit plus et la motivation à participer peut s'en ressentir. Le virtuel ne joue plus son rôle de miroir de notre ego. Pire, on peut même le percevoir comme une déformation, une dégradation de ce que nous percevons de nous et ressentir une certaine répulsion à l'idée de s'y regarder (Alias poster des photos, voire simplement écrire.). Quand on en est là, il ne faut pas grand chose pour se désinvestir de cet outil de communication...

Je ne suis pas sûre de faire la promotion du forum, avec ces idées là..

Avalon a écrit:
Je ne suis pas sûre de faire la promotion du forum, avec ces idées là..

de tous les espaces virtuels de toute façon ...

pour autant

les relations que nous développons sur ces espaces, peut, selon leur qualité dépasser cette "quête" de reconnaissance  pour que s établisse, au fil du temps de vraies relations "amicales" entre les différentes protagonistes

je prendrais comme exemple les différentes rencontres qui  s articule autour de nos différents échanges

j entretiens par exemple avec une amie éloignée du Poitou une relation débutée il y a très longtemps sur un "autre site" et que nous avons, avec des interruptions, entretenu sur Skype ..
a vous le dire nous échangeons plus ordinairement des images de nos tomates que de notre dernière jupe
d abord parce qu'elle les découvre facilement sur le forum, ensuite parce que si finalement bien des choses nous opposent
- elle est plutôt casanière et discrète pendant que je suis très sorteuse et extravertie
- nos épouses ont une tolérance radicalement opposée a notre particularité
- et bien d autre chose encore ..
c est finalement ce qui nous a rapproché ...
nous avons fini par nous retrouver au debut de l été et nos conversations "en vraie" on reprises comme si de rien n était

de même avec un groupe d ami - ignorant de ma particularité - avec qui nous avons fondé un petit forum intimiste et sympa
mais j en parlerai dans "nos amitiés masculines"

c est en ce sens que les "monde virtuel" sont tolérables
ne les fréquenter qu'en quête de reconnaissance peu effectivement être problématique

Béatrice a écrit:...
- nos épouses ont une tolérance radicalement opposée a notre particularité
...

J'adore l'antinomie !
"Tolérance" et "radicalement opposée"
Comme c'est bien dit !
:mamiz:

Ciao ragazze,
Salut jeunes femmes,  

J'ai cherché un peu, non pas autour du narcissisme, mais de l'image.
Je m'étonnais de ce que les autres me renvoyaient comme image de moi - lorsqu'il y avait une relation à l'autre. Je ne parle pas de l'abruti qui m'a traité de travelo, évidemment. Mais il faut en tenir compte malgré tout.
Les autres me renvoyaient l'image d'une grande dame. J'ai l'impression de ne pas y être pour grand chose.  

Ma fille qui avait deviné avant tout le monde me dit : " Alors, comment est-elle cette grande dame ? "
Une artiste ensuite dont je vois l'exposition de ses oeuvres et qui me dit " pour me rappeler de vous, je vais mettre, euh, la grande dame.
Le gentil dragueur qui m'a raccompagné à ma voiture sur Avignon un soir et qui me fit des compliments puis un baise-main avant de me laisser partir.
Un homme en Italie à Vérone qui me fait un baise-main aussi avec des compliments.
A la gay pride, la même veine. Je vous en passe, sans quoi cela deviendrait rébarbatif !

Mais moi je n'ai pas l'impression d'être cela ! Je me vis plutôt comme une jeune femme. J'ai l'impression aussi d'avoir un décalage d'âge ! Et cela me donne des ailes d'ailleurs. C'est vrai que je suis tout de même vite rattrapé par la réalité de l'âge de mes artères mais qu'importe. L'image que j'ai dans ma tête est celle-là.  

Quand je me regarde dans le miroir ou sur une photo, il ne m'apparaît aucune de ces deux images. C'est encore une autre qui se montre et que je supporte sans plus. Je me fais belle pour l'améliorer mais voilà ! Rien de plus !  

Si narcissisme il y a, il n'est certes pas dans l'image du miroir. Par contre dans mon ressenti, je suis fière et déterminée.
J'ai toujours été extravertie. J'aime bien qu'on me remarque je crois. Donc le narcissisme pour moi est là ! Dans cette façon d'être qui consiste à aller voir tout le monde, dire bonjour, rire bêtement des fois, intelligemment d'autre fois. Je suis très naturelle en fait. Je l'ai toujours été. Je m'intéresse aux autres. Quelqu'un qui fait quelque chose, ne serait-ce que pêcher, je vais aller le voir, lui parler, faire une blague...
Alors du coup, je pense que du narcissisme est absolument nécessaire à de bonnes relations sociales.  

Lorsque j'étais jeune, je regardais les femmes en mimant ce que je pensais être un homme. Pensée acquise par l'observation des autres mâles. Mais complètement décalé, je voyais dans les femmes autant de déesses, de grandes dames que de femmes. Ce qui m'a valu des déboires comme vous pouvez l'imaginer.
Et ça c'est tout de même rigolo d'y repenser parce que moi qui voyais les femmes comme des grandes dames, voilà que j'en suis une aux yeux des autres.  :mamiz:

Cette image de grande dame est une image qui m'est renvoyée par des personnes ayant aucune animosité à mon encontre, évidemment.  
Parce que de l'animosité ou l'incompréhension qui m'entoure survient une image négative de travelo, ou de folle !    

Puisque je me supporte dans le miroir ; puisque je suis fière et déterminée dans l'image que j'ai de moi et que j'apparente à mon être ; puisque l'on me traite de grande dame dès lors qu'il n'y a pas d'animosité particulière, que voulez-vous que cela me fasse lorsque l'on me dégenre, ou que l'on me bat froid. Rien !
Je réagis lorsqu'il y a insulte sur ma personne !      

Bacii
Bisous  

Julie Armande

Bonjour à toutes,

je lis le fil de discussion depuis quelques jours en me creusant la tête sur ce que je pourrais bien y dire de plus que toutes les commentaires bien intéressants qui y sont postés. Ben je suis toujours au même point

De nombreuses fois ces dernières années, je me suis dite que nous étions égocentriques, tournées vers nous-même plus que de raison... De égocentrique à narcissique la frontière peut être ténue. Mais j'irais plus loin ; il me semble depuis longtemps que de manière plus large le monde LGBT (et consors) souffre d'un problème avec l'altérité. Le monde hétéro suit l'adage " chacun cherche son contraire" ; le monde homo "qui se ressemble s'assemble", et le monde trans ? Peut-être "je me fonds en l'autre pour exister car l'autre quelqu'il soit me fait peur ou bien je me déconsidère tellement moi-même que je prends l'identité de l'autre".

Je confie à votre sagacité cette intuition qui n'a bien entendu aucune valeur de vérité .

Bises
Caro

Caro a écrit:Mais j'irais plus loin ; il me semble depuis longtemps que de manière plus large le monde LGBT (et consors) souffre d'un problème avec l'altérité. Le monde hétéro suit l'adage " chacun cherche son contraire" ; le monde homo "qui se ressemble s'assemble", et le monde trans ? Peut-être "je me fonds en l'autre pour exister car l'autre quelqu'il soit me fait peur ou bien je me déconsidère tellement moi-même que je prends l'identité de l'autre".

Je trouve moi aussi ce point de vue.. très intuitif.
Esquissons un scénario... Et si l’alter ego d'une transgenre était elle même? Si nous étions chacune une sorte de miroir de nous même? Et de là notre seul spectateur pour l'actrice que nous sommes? A quoi nous servirait les autres sinon nous démontrer au travers d'une insatisfaction sans cesse entretenue que la solitude sera toujours le prix à payer pour avoir été créateur et créature en même temps...



Bon.. Je m'avale un truc bien fort et je reviens ! 

Avalon a écrit:
Esquissons un scénario... Et si l’alter ego d'une transgenre était elle même? Si nous étions chacune une sorte de miroir de nous même? Et de là notre seul spectateur pour l'actrice que nous sommes? A quoi nous servirait les autres sinon nous démontrer au travers d'une insatisfaction sans cesse entretenue que la solitude sera toujours le prix à payer pour avoir été créateur et créature en même temps...

:

et bien ce n est pas si faut

cette transidentité ne traduit elle pas par une incapacité a aimer l autre au point de l inventer ... ??

rejoignant une autre découverte de Stéphanie

Stephanie Dupont a écrit: . . . et le manque d'empathie serait lui même un signe de narcissisme . .

Béatrice a écrit:cette transidentité ne traduit elle pas par une incapacité  a aimer l autre au point de l inventer ...  ??

Cette idée renvoie aux sources de la transidentité.. Sommes nous transgenres par pur narcissisme (Ce qui ferait de la transidentité une pathologie, une maladie de l'ego) ou le narcissisme d'un transgenre est-il une conséquence possible, un risque inhérent au travail en profondeur sur notre identité?

@avalon
"Et si l’alter ego d'une transgenre était elle même?"
j'abonde en ce sens

@beatrice @Stéphanie
à mettre en relation avec la peur de l'intimité, question qui me taraude depuis adolescente

iseb zarb

Coucou, c'estencoremoi,

Moi je ....
Il y a une dimension qui était intéressante dans le défilé de la gay pride, nous étions tous différents.
Il y avait des gays, des lesbiennes, des trans, des non-binaires et nous étions tous ensemble mélangés.
La minute de silence pour rappeler les événements de Stonewall était impressionnant.

J'ai l'impression de me promener à côté de toi dans un monde qui n'est pas le même. Tu as des images des choses en soi que je n'ai pas, mais pourtant ces choses-là je les vois aussi telles que tu ne les vois pas. Ce n'est pas seulement notre communication qui peut nous sembler impossible mais notre propre vision du monde.
Nous sommes face à l'image confectionnée par nos conditionnements et c'est pourquoi nous la partageons suffisamment pour combler les manques mais nous vivons dans des mondes différents.
Attiré le regard de l'autre est le convoquer ici et maintenant, et de cela nous pouvons être excitée et de cela nous pouvons vivre. Est-ce du narcissisme ? Oui ! Mais comme je le disais plus haut, il est parfaitement nécessaire.
Notre image est pareillement conditionnée. C'est quoi ce concept de beauté ? On nous l'inculque ! Comme le ridicule ? on nous l'inculque aussi. Qu'est ce qui est ridicule ? Au nom de quoi ? Qu'est ce qui est beau ? Et du coup, est ce que le narcissisme lui-même n'est pas illusion ? Je suis belle par rapport à quoi ?
Le problème de l'image est qu'il faut la situer. De quelle image on parle, de quelle image l'on est narcisse ???

Nous convolions ensemble vers le but ultime, le Park ! Nous étions tous dans notre façon de voir différente. Mais nous n'étions plus seuls. Nous étions ensemble. Une minorité plus forte composée de minorités différentes au point de vue différent. Car ce qui nous unit, c'est la liberté de notre identité et de notre sexualité. Etre ce que l'on est et aimer qui l'on veut !
J'ai regretté qu'il n'y ait pas eu plus de transgenre à ce défilé. C'est pourtant important !

Bisous
Julie Armande

Avalon a écrit: la solitude sera toujours le prix à payer pour avoir été créateur et créature en même temps...

:

Tout à fait d'accord sur l'idée créateur /créature ; les transgenres ne fusionnent pas deux genres, ils en créent un nouveau - qui sera différent pour chaque transgenre. D'où le risque de solitude.

Je pense que le narcissisme est surtout une étape dans le parcours des trans , au fur et à mesure il vaut mieux s'en détacher et s'oublier un peu soi même pour se touner vers les autres , en tous cas c'est comme cela que je le conçois .

Michelle m a écrit:Je pense que le narcissisme est surtout une étape dans le parcours des trans , au fur et à mesure il vaut mieux s'en détacher et s'oublier un peu soi même pour se touner vers les autres , en tous cas c'est comme cela que je le conçois .

C est bien comme cela que le conçois aussi Michelle , et c est ce que je fais , a un niveau inférieur au tien bien sur , mais je m occupe de deux trois personnes qui on besoin d aide

Deux avis (Michelle et Jacqueline) qui me semblent pleins de sagesse . . . et ramènent un peu de soleil dans nos réflexions, merci les amies

En résumé si je comprends bien le narcissisme serait une phase plus ou moins incontournable de nos parcours, qui finirait par disparaître de façon assez naturelle à partir du moment où la confiance en soi s'installe, et où on peut aller vers les autres en dépassant nos craintes. Elle me plaît beaucoup cette vision, et elle me paraît très saine. . . . et rassurante aussi !

Daniéla nous a quand même lancées dans un sacré débat qui mériterait sa dose d'étoiles !



Steph

PS : C'est cocasse, cette conclusion nous ramene finalement presque naturellement vers le sujet du futur de nos anciennes relations qui a été ouvert initialement dans la même minute . . . on a beau croire au hasard et à la chance, il y a des moments où on se pose quand même des questions . . . il n'y a que sur Agora que ça peut arriver, une chose pareille

Il existe une version du "mythe" de Narcisse, celle de Pausanias, un géographe de l'antiquité tardive. Elle est très belle.
Narcisse avait une soeur (jumelle). Ils vivaient ensemble, se coiffaient et s'habillaient exactement de la même manière, allaient à la chasse ensemble. La soeur de Narcisse meurt, le laissant complètement désespéré. Pausanias ne dit raconte pas la fin de Narcisse, mais les commentateurs ultérieurs laissent penser qu'il s'est laissé mourir de chagrin, en contemplant son image dans une source ou une fontaine (comme chez Ovide, l'auteur de référence pour toute la mythologie antique), pour y chercher celle de sa soeur. Faut-il voir dans cette version un "argument" en faveur d'une thèse avancée ^par certains spécialistes: que les récits mythologiques ont une base dans la "réalité" historique, sociale, voire quotidienne des anciens grecs? Comme en toute chose, il y a du vrai dans cette hypothèse. Mais aucune théorie n'épuisera le sujet.
bien à vous, Isabelle
p.s.: pour une approche en profondeur et passionnante (avec en prime un superbe texte d'Hubert Damisch sur les tableaux de Poussin et Caravage autour de Narcisse!), voir la l'excellente Nouvelle Revue de Psychanalyse, N° 13, Printemps 1976.

Merci Isabelle de réactiver ce sujet dont j'avais oublié l'existence...

Ta version du mythe de Narcisse me fait revenir en mémoire un récit que j'avais écrit alors que j'avais 13 ans. Sans connaître ce mythe, j'avais imaginé un personnage masculin qui contemplant son reflet à la surface d'un étang, y voit celui de sa bien-aimée. Voulant l'embrasser, il se baisse tant qu'il tombe et se noie.

Quand j'y pense, je me demande si ce n'était pas inconsciemment le risque qui me guettait, en tant que transgenre se satisfaisant uniquement de l'image idéale de la femme recherchée à travers moi, si j'oubliais que le féminin est un genre social et par conséquent, sa féminité il faut la vivre avec les autres.

Bises