Un poème énigmatique de Blaise Cendrars

Il s'agit du "passage de la ligne", un poème extrêmement court, difficile à interpréter et qui m'a toujours rendue perplexe. Le voici:

Naturellement j’ai été baptisé
C’est mon onzième baptême de la ligne
Je m’étais habillé en femme et l’on a bien rigolé
Puis on a bu

Il faut savoir que la ligne en question est l'Equateur, dont le passage en cargo donnait lieu à cérémonie. On peut lire, dans les brillantes analyses de tous les gens qui savent, que le travestissement est ici un moyen de ridiculiser la cérémonie elle-même. Je suis modestement d'un avis différent.

En effet, ne disons nous pas nous-mêmes que nous "passons la ligne", celle qui sépare nos deux pôles (tiens, comme l'Equateur sépare le globe en deux parties...) ? N'avons-nous pas un nouveau nom de baptême que nous utilisons alors, et que nous pourrions d'ailleurs changer autant que nous le voudrions à chaque passage ? N'avons nous pas cette liberté une fois la ligne [de démarcation] franchie ? Ne connaissons-nous pas cette joie, cette ivresse que nous devons au fait d'être passées de l'autre côté de la ligne ?

C'est donc la cérémonie qui nous baptise et nous conforte, et non pas nous qui l'avilissons.

Vos avis ?

indépendamment de la raison pour laquelle il y avait une personne déguisée en femme (Amphitrite) épouse de Neptune, ce passage était un rite initiatique.
et il fallait un marin déjà initié pour représenter l'épousa du roi des mers car à l'époque de la marine à voile les femmes étaient rares sur les navires ....
on retrouve encore aujourd'hui le passage du tonneau (demander à l'amirale à l'origine )

et un mélange de religion et des enfers etc...

pour ma part j'aime bien cette vision développée du nouveau baptême et du passage vers autre chose une autre vie. Franchir une ligne ..


comme disaient les Romains d'une époque lointaine franchir le Rubicon, dépasser ses limites..

galwenne a écrit:indépendamment de la raison pour laquelle il y avait une personne déguisée en femme (Amphitrite) épouse de Neptune, ce passage était un rite initiatique.
et il fallait un marin déjà initié pour représenter l'épousa du roi des mers car à l'époque de la marine à voile les femmes étaient rares sur les navires ....
on retrouve encore aujourd'hui  le passage du tonneau (demander à l'amirale à l'origine   )

et un mélange de religion et des enfers etc...

pour ma part j'aime bien cette vision développée du nouveau baptême et du passage vers autre chose une autre vie. Franchir une ligne ..


comme disaient les Romains d'une époque lointaine franchir le Rubicon, dépasser ses limites..

Ah très intéressant ! Merci Galwenne, j'ignorais totalement cet aspect du folklore maritime et donc tout s'explique !

galwenne a écrit: indépendamment de la raison pour laquelle il y avait une personne déguisée en femme (Amphitrite) épouse de Neptune, ce passage était un rite initiatique.
et il fallait un marin déjà initié pour représenter l'épousa du roi des mers car à l'époque de la marine à voile les femmes étaient rares sur les navires ....
on retrouve encore aujourd'hui  le passage du tonneau (demander à l'amirale à l'origine   )

ce sont en effet des elements de folklore maritime lié a l'absence de femmes sur les navires

de la même maniere, il est de traditions a l'occasion de la Sainte Barbe patronne des artificier de choisir un jeune mousse (souvent un canonnier) et de le "deguiser en femme"  

je reconnais avoir été assez jalouse de certain des mes collègues que des épouses d'officiers-mariniers apprêtaient avec talent en en faisant de superbes femmes !!!



.

N'avons nous pas cette liberté une fois la ligne [de démarcation] franchie ? Ne connaissons-nous pas cette joie, cette ivresse que nous devons au fait d'être passées de l'autre côté de la ligne ?

Bonjour les filles
Que je trouve ce texte beau!!!!!

Béatrice a écrit:

galwenne a écrit: indépendamment de la raison pour laquelle il y avait une personne déguisée en femme (Amphitrite) épouse de Neptune, ce passage était un rite initiatique.
et il fallait un marin déjà initié pour représenter l'épousa du roi des mers car à l'époque de la marine à voile les femmes étaient rares sur les navires ....
on retrouve encore aujourd'hui  le passage du tonneau (demander à l'amirale à l'origine   )

ce sont en effet des elements de folklore maritime lié a l'absence de femmes sur les navires

de la même maniere, il est de traditions a l'occasion de la Sainte Barbe patronne des artificier de choisir un jeune mousse (souvent un canonnier) et de le "deguiser en femme"  

je reconnais avoir été assez jalouse de certain des mes collègues que des épouses d'officiers-mariniers apprêtaient avec talent en en faisant de superbes femmes !!!





.

Sainte Barbe est aussi la patronne des mineurs et dans mon premier boulot (pas à la fosse mais un bailleur immobilier historique pour leurs logements) j'ai participé à plusieurs célébrations dignes d'une séquence d'un Dany Boon mais il n'y avait aucune trace de quelqu'un habillé de l'autre genre

Bonjour les filles,

Quel sujet intéressant. Merci beaucoup pour ce partage d'idées, d'histoire et de folklore.
J'avais une vague connaissance de cette tradition liée au passage de l'équateur, mais je ne savais pas qu'elle recelait tout cela.

Du coup, comme j'aime savoir ou aller chercher au fond du sens des mots, j'ai regardé l'étymologie du mot "baptême" : https://www.cnrtl.fr/etymologie/bapt%C3%AAme
Si le sens premier est religieux et lié à la purification de l'âme par l'eau, le sens second est selon ce site de référence : 2. p. ext. emploi burlesque 1690 (Fur. : Baptême. En terme de marine est une cérémonie profane, dont usent tous les matelots envers ceux qui passent la première fois sous le tropique ou sous la ligne).

Il est vrai que le baptême est associé à l'attribution d'un prénom, et c'est aussi le cas pour les navires et les... cloches.

J'aime beaucoup cette analogie avec le passage de l'autre côté de la ligne qui séparerait les genres. J'utilise à dessein le conditionnel, car finalement, y a-t-il vraiment séparation ?
Bref, merci à toutes pour ce moment de partage. Bisous.

Ô combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Se sont vus transformés sous le mât de misaine
En créatures sublimes, dont la féminité
A fait un équipage, une communauté,
Naviguant sous les ordres tendrement avisés
D'une amirale menant un vaisseau de haut bord,
Baptisé "Agora," vers des rivages d'or
Où l'étrange beauté émanant de ces corps
Tels qu'en eux-mêmes enfin ils vont se découvrir
Et vivre une existence de joie et de soupirs
Goûter finalement après la longue nuit,
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui !

Pour faire plus clair et plus concis, oui, je suis d'accord avec toi, Michèle-Anne !

chantal92 a écrit:Ô combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Se sont vus transformés sous le mât de misaine
En créatures sublimes, dont la féminité
A fait un équipage, une communauté,
Naviguant sous les ordres tendrement avisés
D'une amirale menant un vaisseau de haut bord,
Baptisé "Agora," vers des rivages d'or
Où l'étrange beauté émanant de ces corps
Tels qu'en eux-mêmes enfin ils vont se découvrir
Et vivre une existence de joie et de soupirs
Goûter finalement après la longue nuit,
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui !

Pour faire plus clair et plus concis, oui, je suis d'accord avec toi, Michèle-Anne !  

Bravo ! Tu m'étonneras toujours !

chantal92 a écrit:Ô combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Se sont vus transformés sous le mât de misaine
En créatures sublimes, dont la féminité
A fait un équipage, une communauté,
Naviguant sous les ordres tendrement avisés
D'une amirale menant un vaisseau de haut bord,
Baptisé "Agora," vers des rivages d'or
Où l'étrange beauté émanant de ces corps
Tels qu'en eux-mêmes enfin ils vont se découvrir
Et vivre une existence de joie et de soupirs
Goûter finalement après la longue nuit,
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui !

Pour faire plus clair et plus concis, oui, je suis d'accord avec toi, Michèle-Anne !  

wahou !!!!


merci !!!

Waouh ...bis !!
Je ne suis pas la seule à fayotter ...  mais le style de Madame de Stael Des Hauts de Seine est sublime !!
Hugo ....belle réécriture de  L'Agora...Vox ?? (j'ose tout hein ??  ),  très sympa ce poème ;  perso je n'ai pas dépassé le tropique du cancer et mes voyages se sont arrêtés à la limite de l’équateur ...de toute façon Maman n'aurait pas voulu !!
 Franchir la ligne ...comme pour M Dutilleul (le passe-murialle ) ?? j'ai de plus en plus de difficultés à  la traverser au retour , finirais-je "emmurée " ?? j'espere autan pas ! Et mon seul trajet Marine Nationale c'est limité à ....la Méditerranée !! pas de bol .

Intéressant ces pratiques cérémonieuses mais ce qui me chagrine est que travestir un homme part du manque de présence de femmes. Tout comme dans le kabuki japonais.

Ce qui laisserait penser que nous jouons le rôle féminin, à défaut de femmes "réelles".

Par contre, la répétition de ces cérémonies et le fait qu'elles perdurent (malgré l'évolution sociale qui permet aux femmes d'être actrices ou d'être sur un bateau), prouve que ceux qui la vivent (en tant que spectateurs ou acteurs) éprouvent un sentiment autre que s'il s'agissait d'une femme cisgenre.

Et le rire permet de ne pas se poser la question du pourquoi.

Bises

Sympa cette tradition de la Marine !

Le travestissement dans l'armée en général est relativement fréquent. Plutôt en dehors des heures de garde ou de service. Il suffit de regarder des photos des précédents conflits. Pour remonter le moral des troupes on organise des spectacles souvent montés par les soldats eux même. Pour interpréter une scène ou pour une danse certains se retrouvent grimés. Idem dans les camps de prisonniers.

Je crois qu'elle a déjà été partagée ici. Il existe une photo connue de soldats anglais surpris lors d'un de ce spectacles. Il sont en train de charger un canon, portant des robes, pour répondre à l'attaque ennemie.

Jade David a écrit: Pour remonter le moral des troupes on organise des spectacles souvent montés par les soldats eux même. Pour interpréter une scène ou pour une danse certains se retrouvent grimés. Idem dans les camps de prisonniers.

la grande illusion de Jean renoir et le trouble des hommes confrontés a une feminité