A la friperie

J'avais repéré ce magasin, en passant plusieurs fois devant en voiture, où de beaux vêtements sont exposés régulièrement en vitrine.

Cette semaine, alors que j'avais terminé de bonne heure les courses hebdomadaires, je m'y suis rendue.

A l'intérieur, plusieurs clientes papillonnent dans les rayons. Aucun homme en vue, et pour cause, car ce lieu est dédié exclusivement à l'univers féminin : habits, chaussures, bijoux et maquillage. Mais les articles sont à l'unité ou en petite quantité, car ce sont des invendus. La maitresse des lieux, qui officie seule dans sa boutique, a un goût certain pour sélectionner la marchandise, car rien n'est immettable. Au contraire, il y a beaucoup de jolies choses.

Je m'associe à " la danse" des achats impulsifs, et sélectionne plusieurs articles au grès des découvertes dans les rayonnages. Ayant fait mon choix, constatant que la taille n'était pas toujours indiquée, je me suis adressée à la commerçante qui me précisa que c'étaient des tailles uniques. Je lui demandai alors s'il était possible de les essayer. Elle m'indiqua une cabine en s'excusant que je devais attendre car une cliente était déjà à l'intérieur. A sa sortie, alors que j'allais rentrer derrière le rideau, notre hôtesse se précipita dans le réduit avec une bouteille à la main en me disant "Madame, je vais vous nettoyer la cabine par protection sanitaire". Je la remerciais et avec un sourire elle me répondit "Avec cette épidémie, je suis devenue une vraie fée du logis".

Il y a des magasins, souvent des enseignes nationales, où nous sommes des clientes anonymes. D'autres au contraire, où une vendeuse vient vers vous, vous conseille et vous montre des produits en rapport à votre recherche. Ce sont souvent des magasins de marques. Ici, c'est différent. Les clientes sont des habituées, l'arrivage étant hebdomadaire, et l'ambiance est familiale. D'ailleurs, parmi les clientes, il y avait des groupes constitués de la grand-mère, de la mère et de la fille. L'accueil est très agréable. La responsable du magasin échange et plaisante avec ses clientes.

C'est mon tour de passer à la caisse. Pour effectuer des prix bas, la carte bancaire n'est pas acceptée. N'ayant pas assez de monnaie, j'ai donc payé par chèque (par chance j'en avais un dans ma pochette), m'excusant de ne pas avoir de carte d'identité. En fait je l'avais mais j'aurai trouvé incongru de la présenter à mon prénom masculin.

Alors que je n'avais besoin ni envie d'aucun vêtement en particulier, je me suis retrouvée avec un manteau d'hiver bleu électrique avec un col en fourrure synthétique, une blouse épaules nues de la même couleur, un tee-shirt vieux rose avec manches longues style organza, un gilet court couleur parme et un gilet "oversize" crème. Je me suis plainte avec le sourire en montrant que finalement je prenais tous les vêtements essayés, affirmant à la commerçante que sa boutique était un lieu de perdition. Une dame qui attendait derrière moi pour payer, confirma mes dires en précisant que c'était la première fois qu'elle venait. Je me suis aussitôt retournée vers elle, en lui disant que moi aussi c'était ma première visite. Me regardant, avec un léger air compatissant, elle eu la gentillesse de me dire "Avec votre taille, Madame, il est vrai que vous avez beaucoup de choix parmi les modèles ici". J'ai peu être rougi sous mon maquillage et mon masque, car ce genre de compliment est toujours agréable à entendre, d'autant plus venant d'une femme, et d'une inconnue. La vendeuse poursuivi notre dialogue à trois, durant lequel j'ai appris qu'elle était polonaise et avec perdu son premier enfant. Tout cela a été dit d'un ton naturel, sans dramatiser. Je suis toujours étonnée avec quelle facilité les femmes parlent entre elles de sujets intimes, sans pudeur.

En sortant de ce magasin, j'ai eu l'impression que j'avais été acceptée dans le monde des femmes. Certes, ce n'est pas la première fois que je parle avec des inconnues, comme par exemple avec les caissières et les vendeuses du supermarché où je me rends chaque semaine, mais jusqu'à présent j'avais la sensation qu'une porte s'était ouverte, mais que je contemplais ce monde en restant au seuil. Cette fois-ci, j'étais passée, non pas derrière le miroir comme le poète, mais en faisant un petit pas pour moi, et un grand pas pour ma féminité :-)

Mais je ne me fais aucune illusion. Je ne suis pas une femme cisgenre, et ne pourra jamais en être une. Comme je l'ai déjà dit, je suis une cousine des femmes, un être différent mais féminin.
Quant au passing, comme me l'a dit mon compagnon, le masque aide beaucoup. Cet ustensile de protection a l'avantage de cacher mon affreux nez, et comme je crois que notre féminité passe beaucoup par le regard, nos interlocutrices et interlocuteurs se concentrent sur nos yeux, à notre avantage :-)

Concernant le passing, j'ajoute que pour moi c'est un tout. Certes avec un vêtement très féminin vous marquez plus votre féminité mais si votre marche est celle d'un homme, ce sera horrible car le contraste sera très visible.

Et puis il y a l'idée que l'on a de soi. Lorsque je suis entrée dans le magasin, je n'ai pas douté de moi. Les modulations de ma voix ne sont pas celles d'une femme, mais j'ai osé parler engageant la conversation. D'ailleurs j'apprécie de plus en plus ces échanges avec les femmes, j'allais dire entre femmes.
C'est vraiment différent d'une conversation entre hommes. Le but n'est pas dans le contenu des propos mais dans le plaisir d'échanger des paroles avec l'autre. Je suis peut-être naïve mais lorsque je fais mes courses, je sens comme une connexion qui relie les femmes entre elles, alors que les hommes, les liens sont très serrés si on partage quelque chose en commun (centre d'intérêt, travail, amitiés, familial) et inexistants avec les inconnus, ceux hors du groupe. Alors que les femmes me semblent reliées entre elles, elles se regardent, se jaugent pour certaines car le rapport n'est pas toujours positif, mais il existe. Pour l'instant je me sentais hors de ces liens et pour la première fois, dans ce magasin, je me suis sentie reliée avec les autres clientes, d'où mon expression d'être entrée dans la danse.

Pour éviter tout malentendu, je souhaite être plus précise sur la différence des échanges entre hommes et entre femmes. Il y a souvent un but lorsque l'on parle entre hommes. Solutionner ou exposer un problème. Même les échanges sur le sport sont pour trouver qui sera le vainqueur. Alors que j'ai remarqué que parfois, les propos des femmes sont gratuits. Par exemple, ayant surprise une femme tournant sur elle-même dans un rayon, elle me dit dans un sourire "Nous avons l'air fines avec nos caddies". Ce à quoi je lui ai répondu "C'est vrai que nous faisons beaucoup de manoeuvres avec". Et chacune est partie de son côté. Et bien je n'aurai jamais eu ce genre d'échanges avec un homme. Au mieux, nous aurions essayé avec un sourire de trouver le meilleur moyen de se croiser sans se tamponner, et encore j'imagine plutôt l'air sérieux et concentré, fronçant les sourcils pour bien calculer le passage :-) Mais je suis certaine qu'aucune parole n'aurait été prononcée. Sauf pour s'engueuler s'il y avait eu contact.

Voilà, je voulais partager avec vous ce moment où je suis entrée dans une relation nouvelle avec les femmes, une certaine complicité que je ne pensais pas vivre un jour.

Bises

...

pour t avoir rencontré je te dirai bien tout plein de chose sur ta feminité

mais M.A qui te connait bien mieux que moi les dira infiniment mieux

Oh que oui . . . j'ai déjà parlé d'une boutique où je m'étais rendue en mode"Dédé" il y a longtemps, et où je m'étais fait simplement virer . . . J'y suis retournée au féminin en Aout, l'accueil était cette fois nettement plus agréable . . . J'y suis retournée plusieurs fois depuis, maintenant je discute avec les vendeuses, on papote de tout et de rien, l'ambiance est devenue totalement sympathique . . .

Béatrice a écrit:...

pour t avoir rencontré je te dirai bien tout plein de chose sur ta feminité

mais M.A qui te connait bien mieux que moi les dira infiniment mieux  

Ben oui ! pour ne parler que de la voix, quand je lis des choses comme "Les modulations de ma voix ne sont pas celles d'une femme", je bondis. Mais si, justement, il y a modulations et douceur naturelles et c'est cela l'essentiel. C'est comme avec Caloue qui méjuge sa voix alors qu'on l'entend dans ses videos avec une tonalité très douce et un phrasé qui ne relèvent certainement pas du "mode Dédé" !

C'est pourtant simple: comme vous ne pouvez pas juger de vos voix, à cause notamment de la déformation du son à travers les os de la tête, enregistrez-vous avec un magnétophone et écoutez-vous ! En plus vous pourrez éventuellement vous perfectionner ! Si j'avais le temps je ferais une sorte de podcast là-dessus, bien que je ne sois pas orthophoniste...

Quelle belle expérience et magnifiquement racontée.
Merci pour le partage....ça donne envie de faire de même.

Bizzz

Très beau récit qui m'ouvre de nouveaux horizons et m'incite à de nouvelles expériences. Merci Daniéla.

.

La seule chose qu’il faudra éviter Daniela, c’est le rayon hygiène intime en magasin, pour en avoir fait involontairement l’expérience.  
Etant donné que je me trouvais dans cet espace en attendant ma chérie, se trouvant à une dizaine de mètres plus loin, et là, étant la seule personne dans cette partie du rayon, tu te fais accoster par une jeune personne te demandant conseil. Heureusement pour moi, je savais, et pu sans hésitation lui conseiller sur une certaine marque de produit correspondant à ses attentes. Ayant la chance de vivre dans un environnement exclusivement féminin (cis),  je peux te dire, que t’as pas fini d’en entendre. Ce qui revient à dire comme tu le décrivais, avec quelle facilité les femmes parlent entre elles de sujets intimes, sans pudeur.

C'est toujours un plaisir pour moi de lire les commentaires de Daniela , autant le fond que la forme ,il y a cette fraicheur qui m’épate ,une féminité naturelle  que tu communiques aux autres personnes et le passing n’est plus l'objectif , une belle réussite je trouve, personnellement .
Je vais parler un peu de moi , ce matin en faisant mon marché hebdomadaire j'ai récupéré le manteau que j'avais porté au pressing pour un nettoyage , c'est  un vêtement acheté en friperie et je préfère qu'il soit net , c'est une friperie solidaire et les vêtements ne sont pas nettoyés ,juste triés . Il y a quelques mois j'avais fait dégraisser une jupe (avec un pourcentage de laine élevé) et j'avais demandé à la jeune femme qui tient la boutique pour quelle raison il était préférable de la faire nettoyer à sec ; elle m'avait répondu sans beaucoup d'amabilité ,je précise j’étais en mode H ,  et peut être m'a t'elle trouvé pingre ..." C'est préférable pour la garder en bon état plutôt qu'un lavage classique " .
Samedi je suis passée prendre le manteau , mais elle n'avait pas eu le temps de le repasser, elle était un peu speed, je lui ai dit, pas de soucis je viendrai lundi . Ce matin j'ai récupéré mon manteau (nickel    ) et nous  avons échangé quelques mots en toute bienveillance , j'étais  au féminin, samedi et lors de la dépose également , ma voix que je ne modifie pas m'identifie mais la relation qui  en découle par la suite est totalement fluide ,surtout quand les personnes sont bienveillantes . Le fait de me  présenter sans stress et consciente de ma personnalité apaise les relations aux autres , je pense effectivement, davantage avec les femmes , comme le souligne Daniela, nos consœurs cis ont depuis longtemps assimilé les bienfaits de rapports plus conviviaux .
Merci de nous faire partager ces moments de vie et bonne fin de journée , .

merci pour ces témoignages motivants.

A vous lire, vous me confortez dans ce que je pense concernant les relations avec les autres, et dans les autres j'inclus aussi les proches. Les rapports sont différents que l'on soit en mode masculin ou féminin. C'est pourquoi le choix de vivre exclusivement en mode féminin n'est pas anodin, au delà de l'apparence physique, c'est surtout le rapport au monde, monde naturel et monde social, qui diffère.

Pour revenir à mon anecdote, je n'ai pas choisi le bon mot. J'ai toujours été acceptée par les femmes, mais là je me suis sentie comme adoptée.

Et tant mieux si cela permet à certaines consoeurs d'être plus hardies, plus confiantes en elles-mêmes.

Bises

Pour la voix, j'ai l'intention de m'y atteler l'année prochaine, je ne sais pas encore comment, si c'est via une orthophoniste ou simplement en m'exerçant en m'enregistrant, mais je ne veux plus me sentir "gauche" à cause d'elle. Et puis c'est comme le maquillage, cela permet de "sublimer" sa féminité :-)

merci Daniela pour ce récit d'adoption !!! ça ne m'étonne pas que tu puisses facilement te faire adoptée par les femmes car à te voir et t'entendre tu es pratiquement l'une d'entre elles bise

Grand merci Daniela,
Ton récit fait un bien fou !... Ainsi que tous les commentaires que cette belle expérience suscite.

Un témoignage qui laisse entendre que la vie nous est tracée sans pour autant être des femmes Cis..

Oui en effet, sans trop en faire dans sa gestuelle et sa vêture, on peut être acceptées sans pour autant cacher notre réalité

Daniela a écrit:A vous lire, vous me confortez dans ce que je pense concernant les relations avec les autres, et dans les autres j'inclus aussi les proches. Les rapports sont différents que l'on soit en mode masculin ou féminin. C'est pourquoi le choix de vivre exclusivement en mode féminin n'est pas anodin, au delà de l'apparence physique, c'est surtout le rapport au monde, monde naturel et monde social, qui diffère.

Pour revenir à mon anecdote, je n'ai pas choisi le bon mot. J'ai toujours été acceptée par les femmes, mais là je me suis sentie comme adoptée.

Et tant mieux si cela permet à certaines consoeurs d'être plus hardies, plus confiantes en elles-mêmes.

Bises

Pour la voix, j'ai l'intention de m'y atteler l'année prochaine, je ne sais pas encore comment, si c'est via une orthophoniste ou simplement en m'exerçant en m'enregistrant, mais je ne veux plus me sentir "gauche" à cause d'elle. Et puis c'est comme le maquillage, cela permet de "sublimer" sa féminité :-)

Daniela, pour la voix, je te conseille vivement de faire appel à une orthophoniste. Elle saura d'abord t'apprendre à respirer et ensuite à obtenir des intonations féminines.
Je pratique depuis un an et ça vient !!!
:mamiz:

Clotilde29 a écrit:Daniela, pour la voix, je te conseille vivement de faire appel à une orthophoniste. Elle saura d'abord t'apprendre à respirer et ensuite à obtenir des intonations féminines.
Je pratique depuis un an et ça vient !!!:mamiz:

Merci beaucoup Clotilde pour ton conseil, que j'ai bien envie de suivre, même si je n'ai pas trop de problème pour échanger quelques mots lorsque j'effectue mes courses hebdomadaires mais cela me facilitera la vie pour des conversations plus longues. Et puis maintenant cela me semble normal d'avoir une intonation de voix qui correspond à l'image que je présente aux autres.

Il me reste à effectuer des recherches sur le net pour trouver la professionnelle qui m'accompagnera dans cette voie :-)

Bises